POULET AUX LÉGUMES AVEC UNE CHANTEUSE

Seul client dans une petite gargote à deux pas du port de Hoi An, Vietnam, je fais défiler les photos sur l'écran de mon boîtier en attendant qu'arrive l'assiette de poulet aux légumes que j'ai commandée. Le patron s'approche, tout sourire, et pose délicatement l'assiette devant moi. Puis il attrape une chaise à la table d'à coté et s’installe près de moi pour faire un brin de causette.

Je voulais être seul, c'est raté.

“Where are you from ?”, commence-t-il tranquillement.
- From France.
- Oh, France !
L'homme se lève alors d'un bond et disparaît en deux secondes dans la cuisine. J'en reste bouche bée, comme on dit dans les livres.
Mais qu'est-ce que j'ai bien pu dire pour qu'il détale comme ça ? Pas de doute, c'était la conversation la plus courte de ma vie.

Soudain, le choc. France Gall m'envahit les oreilles. Je comprends d’un coup. L'homme s'est précipité dans la cuisine pour allumer la sono, croyant me faire plaisir avec une chanteuse française qui, au meilleur de ma forme, me laisse totalement indifférent.
Honnêtement, à cet instant-là je me serais contenté de n'importe quoi d'autre que de la chanson du type qui jouait du piano debout. Mais c'est peut-être un détail pour vous.
Je me résous donc à l'idée étrange de devoir manger du poulet en compagnie de France Gall. Je parie qu'elle va se demander où est Babacar avant que j'aie eu le temps de régler l'addition.

L'homme ressort de la cuisine, l'air satisfait, et se rassoit près de moi. Nous échangeons quelques généralités en anglais. Puis tout à coup il demande : "What’s your name ?"
- My name is Hugues. Nice to meet you.
À mon tour je lui demande : « What's your name ? »
- Oui.
Hein ? À l'évidence il ne comprend cette question que lorsque c'est lui qui la pose. La suite promet d'être laborieuse. Ça a failli être la conversation la plus courte de ma vie, ça va sûrement devenir la plus pénible, d'autant que j’ai tout juste entamé mon assiette. Pas de dessert ce midi, ça c'est sûr. J'avale mon poulet au plus vite, je paie et je décampe avant d'entendre « Viens, je t'emmèèène ».

Mais avant ça, la politesse me recommande tout de même d’insister un peu. Et puis je ne vais quand même pas partir sur un échec.
J'articule lentement : « Sir, I just want to know your name. »
Il me répond alors en français : « Je vous l'ai dit, je m'appelle Oui. »

 

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