ARRIVÉE DE NUIT À SAIGON

J’arrive en gare de Saigon par le train de nuit. Un type en scooter me soutire 2$ pour me trimbaler avec mes sacs dans le quartier Bui Vien. C'est là que tout se passe, me confie-t-il.

Il est 4 heures, Saigon ne s'éveille pas. Rues quasi désertes, un rat décampe devant moi. Des odeurs indistinctes. Un coup de klaxon. Il me faut un jus d’orange et une chambre avec douche au plus vite. 

A une trentaine de mètres, un rai de lumière tombe sur le trottoir. Espoir déçu : ce n’est pas un hôtel mais un petit bar qui vient d'ouvrir (ou qui n'a pas fermé). J’entre, on verra bien. "Psychokiller" des Talking Heads dans les hauts-parleurs, ça s'annonce bien !
« Un jus d'orange s'il-vous-plaît. »
- Désolé, pas d’oranges ! Une bière ?
- Euh, non merci !
Je m'apprête à sortir mais un type avachi au fond du bar m'a repéré avec mes sacs. Il longe le comptoir jusqu'à moi puis me dévisage vaguement. Anglophone, une vingtaine d’années, barbe naissante, ivresse navrante. Il me bafouille des conseils sur les voyages en solo. Je pense « Pitié, lâche-moi ! » mais je lui dis « Ok thanks ! » et je déguerpis.

Un autre rat sur le trottoir. À moins que ce soit celui de tout à l'heure qui m'accompagne dans ma virée nocturne.

Je sens une présence derrière moi. Je me retourne. Dans la pénombre, une jeune femme apparue de nulle part. Des jambes interminables qui tombent d'un short à franges ridiculement court. Les talons-aiguilles raclent le trottoir. Pose étudiée, la prostituée me lance un sourire exagérément faux et coquin. Je suis tenté de lui dire qu'elle a du rouge-à-lèvres sur les dents. Mais j'abrège gentiment : "No thanks !", et continue mon chemin.

Le rat a disparu.

Où vais-je trouver ce jus d’orange, cette douche, cette foutue chambre ?

Au bout de la rue, dans le coin qui fait face au « Crazy Buffalo », un type en uniforme d’agent de sécurité bâille encore plus que moi. Avec son autorisation je me laisse tomber sur un fauteuil en rotin abandonné sur la terrasse d’un bar fermé plus tôt. Au bout d'une heure à somnoler je remarque que les rues ont commencé à s’animer un peu.

Je reprends ma route, toujours en quête d'une chambre. Un homme remonte une grille. Le hurlement du métal envahit la rue. Plus tôt j’avais déjà remarqué l’enseigne : 5$ la nuit. A ce tarif-là je suppose que c’est cafards inclus et tuyauterie bouchée. Je monte jeter un œil à la piaule : en effet les cafards occupent les lieux depuis sans doute plusieurs générations mais la plomberie est acceptable. Je pose mes sacs, prends cette douche tant espérée, puis je descends payer.

En guise de bienvenue, l'homme me tend un verre de jus d’orange qu’il vient de presser.
« Aaah, merci monsieur ! »

Il est 6 heures, Saigon s'éveille, je monte me coucher. 

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