SERVICE 5 ÉTOILES GRATIS
C'est ma première fois au Vietnam.
Dans les villes, les sollicitations sont omniprésentes. Impossible d’y échapper. On t’interpelle, on te tape sur l’épaule, parfois on te retient carrément par le bras. Les serveurs des restaurants descendent jusque sur la chaussée pour te barrer le chemin, menu tendu devant eux. Des types avachis sur des scooters garés le long des trottoirs te lancent :
— Hey, where you from?
L’étranger qui a la mauvaise idée de leur répondre se voit aussitôt proposer toutes sortes de trucs. Et toujours au meilleur prix, bien sûr — pour eux.
Le soir, dans la pénombre, on vient te chuchoter à l’oreille le prix de la marijuana, ou encore on te colle sous les yeux des photos fatiguées de jeunes femmes superbes aux prétendus talents de masseuses, voire plus si affinité.
Bref, pas moyen de te balader cinq minutes sans être accosté.
Ce jour-là, je termine mon petit déjeuner en scrutant le ciel. La gentille petite dame qui gère l’hôtel me confirme qu’il va pleuvoir. Mais il est hors de question que je reste enfermé. J’attrape mon Nikon et je sors, on verra bien.
Je descends la rue, tourne à gauche après l’hôtel Sheraton et commence à longer le boulevard qui borde la plage de Nha Trang. Il y a sûrement des images à faire.
Oh, quelques gouttes commencent à tomber, no good ! Je presse le pas. J’ai repéré la veille un petit bar en bord de plage, avec un toit de paille et de tôle. L’endroit idéal pour attendre la fin de la pluie en sirotant un café.
Il me reste une centaine de mètres à parcourir. Ça commence à être une belle averse. Je vais me retrouver complètement trempé avant d'avoir atteint mon petit bar.
Tout à coup, à une dizaine de mètres derrière moi, une voix :
— Excuse me, Sir ?
Étrangement poli. Habituellement, c’est plutôt des “Hey mister?” qu'on me lance à la volée.
Je continue sans me retourner. Je parie que c'est un type qui veut me vendre un parapluie, un imperméable, une bâche en toile cirée, des pneus pluie, que sais-je ?
— Sir ?
Plus fort, cette fois.
Je m’arrête, prêt à décliner poliment mais fermement comme d'habitude. D’ailleurs, les seuls mots de vietnamien que j’ai réussi à mémoriser sont : không, cảm ơn — non merci. Il faut dire que je les utilise à longueur de journée.
L’homme s’approche à grands pas, courbé sous un parapluie. Il me tend un sac poubelle noir en souriant. Je le regarde sans comprendre. Il pointe du doigt le Nikon que j’essaie de garder au sec sous mon bras. Je saisis : il m’offre de protéger mon boîtier.
Je le remercie, surpris. Mais je me dis aussitôt : “Il va me demander 2 dollars, ça va pas louper !”
Est-ce qu’il lit dans mes pensées ?
— C'est gratuit, dit-il.
Il m’explique qu’il est portier au Sheraton. En me voyant passer devant l’hôtel, il a deviné que j’allais me prendre l’averse, et ça lui a fait de la peine de me voir courir le risque de mouiller mon appareil photo.
Puis il repart sous son parapluie, aussi vite qu’il est venu. Je suis maintenant trempé comme une soupe, mais au moins mon boîtier est à l'abri dans le sac plastique.
Pas de doute, je viens de croiser l'homme le plus sympa depuis mon arrivée au Vietnam il y a deux semaines. Tiens, je vais boire mon café à sa santé.
J’arrive enfin au petit bar.
Fermé.