Ma vision de la photographie sur le vif

La photographie sur le vif que j’aime – street photography, portrait environnemental, carnet de voyage – c’est la photo de la vraie vie, à l'opposé des artifices que nous vendent le marketing et les magazines de mode.

Je ne cherche pas à imiter les grands maîtres. Je me contente de délivrer moi aussi des impressions sur le monde qui m'entoure.

Le facteur imprévisible et l'instant unique

La photo sur le vif repose moins sur la technique que sur la spontanéité et la capacité à anticiper. Elle demande une conscience vive du moment présent.

Dans la photo de paysage, la scène est stable. Elle est également reproductible, presque à l'identique. Dans la photo sur le vif, de nombreux éléments peuvent s'assembler parfaitement en un clin d'œil, puis se défaire aussi rapidement. Un retard d’une fraction de seconde et la scène change, donc l'image perd son sens.

L'incertitude est omniprésente dans la photo de rue. Rien n'est prévisible, ce qui rend essentiel de rester alerte. J'aime saisir un instant particulier dans la vie des gens, sachant qu'aucun autre cliché ne pourra jamais reproduire exactement ce moment-là.

Si on ne déclenche pas au bon moment, la scène est perdue, c’est aussi simple que ça. Il n'y a pas de seconde chance. C’est précisément ce qui donne toute sa valeur à ce genre photographique.

L'observateur silencieux

De nature très indépendante voire solitaire, la photographie de rue me permet de rester en contact avec mes contemporains, tout en conservant une certaine distance. J’ai souvent davantage de plaisir à observer silencieusement une scène de vie qu’à m'y intégrer.

J'y participe, mais en électron libre, en appréciant le contact sans l'obligation de m'y fondre complètement. Je ne suis ni misanthrope, ni timide, mais seulement un peu "sauvage" dans ce monde que je trouve tout de même passionnant à observer.

Ainsi, la photographie est à la fois ce point de rencontre avec les autres et la réponse à mon besoin d'expression créative.

L'instant et le cadrage

Je capture des moments authentiques, jamais mis en scène. Je ne demande jamais à mes sujets de poser. Mon objectif est de m'intégrer le plus discrètement possible dans la scène.

Je suis fasciné par ces petites tranches de vie insolites qui passent inaperçues. Ce que j’aime, c’est quand le banal révèle quelque chose d’extraordinaire, ou bien la présence dans le cadre d’une interaction fugace, mais parfaite : l'expression ou la position d'une personne, leur placement précis par rapport à d'autres éléments. L'action peut être ordinaire, mais le timing et le cadrage choisis ont le pouvoir d’en faire une image forte.

L'objectif est de créer, par l'image, une relation inattendue – une synchronicité ou une juxtaposition – entre des éléments qui semblent a priori étrangers les uns aux autres. Dans une rue animée, je suis totalement concentré sur l'instant, à la recherche de l'étrange, de l'insolite, des bizarreries du comportement humain. Le jeu – l'art ? – consiste à capturer la milliseconde qui donne du sens au chaos apparent.

Il doit toujours se passer quelque chose dans la photo : une action significative, un événement inhabituel au milieu du banal. L'image doit avoir une dimension narrative (quelle histoire raconte-t-elle ?) ou graphique (une composition inattendue). Il faut un décalage, un geste imprévu, un impact visuel et un contenu assez fort pour susciter une émotion.

Street photography vs. photo documentaire

Bien que la photo documentaire et la street photography partagent une approche spontanée, leurs intentions sont différentes. D'après moi, la photo documentaire cherche à être un miroir fidèle, à informer objectivement sur un événement. La street photography, elle, utilise la réalité comme matière première, non pour livrer une information, mais pour susciter une émotion ou un choc visuel chez le spectateur.

En street photography, l'intérêt ne réside pas forcément dans la scène elle-même, mais dans la manière dont elle est interprétée à travers le cadre et la vision personnelle du photographe. Elle utilise le banal pour en extraire une dimension créative.

Le rôle du photographe : un devoir de mémoire

Le travail du photographe de rue n'est pas de voir ce que tout le monde voit, mais de remarquer ce que personne ne remarque. En somme, c'est révéler ce qui aurait pu passer complètement inaperçu.

Mes photos ont pour but de raconter de courtes histoires dans un langage accessible. J'aime voir la photographie comme une mémoire visuelle, un moyen de préserver l'instant présent. Je crée des mini-capsules temporelles pour les générations futures, leur disant : « Oui, cela s'est bel et bien passé. Voici la réalité de la vie à mon époque. J'ai choisi la photographie pour vous montrer les scènes insolites et les interactions inattendues que j'ai vues, car mes mots ne suffiraient pas. Et mon intention n'est pas seulement de m'exprimer en images, mais de susciter des émotions chez vous. »

Au fond, cette quête de l'instant à photographier est un peu ma façon de trouver ma place. C'est un dialogue silencieux avec le monde qui m'entoure, puis une envie de dire au spectateur : « Voici la beauté ou l'étrangeté que j'ai trouvée dans le chaos apparent de notre quotidien. Si mes photos retiennent votre regard un instant, si elles éveillent quelque chose en vous, alors ma démarche a eu du sens. Car l'extraordinaire n'est jamais très loin ; il attend simplement qu'on lui prête attention. »