La vérité du travail aux USA • Proverbe corse • Travailler plus pour gagner quoi ?
“Lu-Vu-Entendu” n°101 – 24 avril 2025
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EXTRAIT
La dure réalité du travail aux États-Unis.
Il semble que beaucoup d'Américains soient fiers de se tuer à la tâche. (…) Ceux-ci glorifient le "travail acharné". (...)
L'idée, c'est que si le travail n'est pas difficile, ce n’est tout simplement pas du "travail".
La rhétorique des conservateurs au sujet des prêts étudiants se concentre souvent sur la dureté avec laquelle ils ont travaillé pour rembourser leurs prêts. L’accent n’est pas mis sur "Je n’ai plus de dettes", mais sur "J’ai travaillé dur, j’ai souffert", ou encore "J’ai eu deux emplois, je me suis nourri de nouilles instantanées et de chips pendant quatre ans pour rembourser mon prêt étudiant".
C'est la souffrance vécue qui semble donner du sens et de la valeur à leurs luttes.
J’ai entendu des gens dire fièrement : "Si je peux aller travailler avec 39°C de fièvre tout en souriant à mes clients, alors toi aussi tu peux le faire."
La vérité, c'est qu’on ne devrait pas avoir à aller travailler avec une fièvre à 39°C. On devrait avoir des congés maladie pour pouvoir se reposer. Il ne devrait pas y avoir de fierté à sacrifier sa santé pour son travail.
Cette mentalité consistant à se tuer à la tâche permet au capital d’exploiter les travailleurs. Demander de meilleures conditions de travail, des horaires raisonnables, des pauses suffisantes, des avantages médicaux incluant des soins dentaires ou psychologiques, des congés parentaux... toutes ces revendications semblent assez raisonnables.
Pourtant, aux États-Unis elles sont perçues comme un signe que vous êtes gâté ou paresseux.
Lorsque vous ne travaillez pas davantage que selon les critères initialement définis pour votre poste, vous êtes accusés de "démission silencieuse".
En fait, l'entreprise attend constamment de vous un effort supplémentaire, l’idée étant que, tant que votre job ne vous épuise pas complètement, vous ne pouvez pas dire que vous travaillez véritablement.
Après tout, si votre patron travaille 12 heures par jour, mange et dort dans son entreprise, comment pourriez-vous vous permettre de quitter celle-ci à 17 h ?
La croyance dominante, c'est que l’entreprise est votre famille, et que votre vraie famille (conjoint et enfants), ne représente pour vous qu'une simple responsabilité de plus.
De plus en plus, les entreprises créent un environnement de travail "ouvert", offrent des en-cas, des repas, des salles de sieste, des divertissements, une salle de sport et des douches… tout pour que vous puissiez littéralement vivre au bureau.
Alors oui, votre travail continue de vous épuiser, mais au moins vous avez des en-cas gratuits !
(...)
Tout cela a créé une éthique de travail extrêmement toxique aux États-Unis.
— Tout d’abord, les conditions de travail sont supposées être difficiles. La charge de travail doit être écrasante. Vous devez aller constamment au-delà de vos limites. Les heures supplémentaires ne sont pas l'exception mais la norme. Vous devez être tellement éreinté après une journée de travail que vous n'avez plus rien à offrir à votre famille ou à vous-même en rentrant. Dans le cas contraire, ce n’est pas un travail significatif ou de valeur.
— Ensuite, vous êtes censé être fier de consacrer votre vie à votre travail. Le salaire, la reconnaissance, la véritable valeur de votre contribution à la société, rien de tout cela n’est le but. Le but est d'avoir un emploi épuisant pendant 12 heures par jour. La souffrance éprouvée dans ce travail est la seule chose qui donne un sens à votre vie. Si vous prenez du plaisir à ce que vous faites, c'est la preuve que vous ne travaillez pas. Dans ce cas vous ne devriez même pas être payé.
— Troisièmement, votre entreprise est votre vraie famille. Vous donnez votre meilleur et vous êtes le plus épanoui quand vous vous trouvez sur votre lieu de travail.
— Enfin, votre emploi définit qui vous êtes. Votre travail est votre identité. Vous êtes médecin, programmeur, policier, cuisinier, caissier. Vous n'avez pas d’identité indépendante de votre travail. Vous êtes votre emploi. Vous êtes priés de continuer comme ça jusqu’à l'effondrement.
Alors oui, moi aussi j'ai cru à tout ça. Je travaille dans le domaine des jeux vidéo. Nous savons tous que c’est un secteur "guidé par la passion". Les gens travaillent dans ce secteur parce qu’ils aiment le jeu.
Vous n'avez aucune idée du nombre de conférences auxquelles j’ai assisté, où les développeurs racontaient comment ils avaient travaillé d’arrache-pied pendant six mois, dormant sous leurs bureaux, se nourrissant uniquement de pizzas froides et de boissons énergétiques afin de préparer la sortie d'un nouveau jeu.
Lors de réunions du personnel, j’ai moi-même évoqué plus d’une fois la manière dont je considérais mon entreprise comme ma famille. Maintenant, en y repensant, je pense que j’étais la seule à y croire naïvement. Je suis heureuse d’avoir enlevé mes œillères.
Alors, quelle est cette dure vérité du monde du travail ?
C'est que vous êtes facilement remplaçable pour votre entreprise, mais vous ne l’êtes pas pour vous-même ni pour votre famille. En fait, si vous quittez votre entreprise ce soir, elle se mettra en quête de votre remplaçant dès demain matin.
Comprenez que, si vous vivez et travaillez dans l'entreprise 12 heures par jour au détriment de votre santé et de votre famille, c'est bel et bien vous que vous détruisez, et ce pour que votre PDG puisse racheter Twitter. » *
— source
CITATION
« Si tu as envie de travailler, assieds-toi et attends que ça passe. »
– Proverbe corse
QUESTION / RÉFLEXION
Quel sens cela a-t-il de travailler plus pour gagner plus lorsque rien de ce qui s'achète ne semble avoir le pouvoir de nous combler, ou bien lorsque ce qui nous comble ne s'obtient pas avec de l'argent ?
— HH
Rendez-vous jeudi prochain devant la machine à café pour un nouveau numéro de “Lu-Vu-Entendu”.
Hugues Hardy
Photographie | Récits de voyage
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* les traductions, adaptations et résumés sont personnels et non officiels.